©Sophie Négrier
©Sophie Négrier
Deux ans après
En matière de mouvement artistique, le concept de génération spontanée est bien moins fréquent qu’on ne le pense. Au départ, il faut des artistes qui tentent, ouvrent des brèches, font école et parfois même disparaissent pour être découverts plusieurs années après. Ces artistes, modèles ou contre-exemples, sont très souvent honorés à la fin de leur parcours artistique ou même parfois encore plus tard, après leur mort. On le constate dans le domaine de la bande dessinée comme ailleurs.
Mais grâce à la Fondation Zinsou et l’exposition de 2013, ce ne fut pas le cas au Bénin, le pays de Damien Hector Sonon.
La carrière de celui-ci commence en 1987, à La gazette du golfe, premier journal privé indépendant du pays, durant la dictature militaire, avant la conférence nationale souveraine, à une époque de censure et de pression. A cette activité de caricaturiste Hector est toujours fidèle depuis près de trente ans, dans un contexte différent, pour plusieurs organes de presse et au milieu d’une certaine désillusion que vit ce pays depuis quelques années. Ce sera aussi l’illustration pour la jeunesse qu’Hector pratique depuis les années 90 avec la création des premières maisons d’éditions indépendantes. Ce fut le cas en particulier avec Ruisseaux d’Afrique, premier éditeur d’Afrique de l’Ouest à se spécialiser dans les livres pour la jeunesse pour lequel il a illustré Abalo a le palu, Le caméléon de Codjo, Une cargaison d’enfants mais aussi plusieurs cahiers de coloriage. Mais la bande dessinée a toujours été sa passion depuis le départ. Depuis son premier album, autoédité en 1989, Zinsou et Sagbo, œuvre racontant sous forme d'une succession de gags d'une planche ou de quelques planches les aventures désopilantes de deux frères qui, comme leur auteur, sont des jumeaux, jusqu’à Toubab or not toubab, son album paru chez Casterman en France en 2012. Premier auteur à publier une BD dans son propre pays, premier Béninois à publier en Europe, la boucle est (provisoirement !) bouclée. Mais la bande dessinée se vit aussi en groupe, c’est le cas au Bénin où les auteurs de BD se sont réunis au sein d’une association, Bénin-dessin, née sur les décombres de AILE-Bénin, association d’illustrateurs pour la jeunesse créée dans les années 90 et dont il fut le président. Depuis sa création, Bénin-dessin a initié un festival de BD, des expositions, un recueil de caricatures et une série de neuf minis albums chez Star éditions.
En rédigeant ce texte aujourd’hui, avec le recul des deux années qui ont suivi cette exposition, je me dis que ce n’est pas uniquement la carrière d’un talentueux auteur de BD que la Fondation Zinsou a voulu honorer. En effet, indépendance de la presse, liberté éditoriale, droit de se constituer en association, ces différents aspects qui ont jalonné la carrière de Sonon sont aussi les marqueurs identitaires d’un pays qui découvre la démocratie. Alors, sans faire dans la surenchère, on peut aussi estimer qu’à travers les 25 années de productions artistiques que l’exposition a parcourues, c’est aussi un peu de l’histoire de ce pays que nous avons découvert.
Comme un rappel de ce que les aînés ont du vivre et endurer pour créer le Bénin d’aujourd’hui, pays sans doute imparfait mais où l’on ne demande plus à la jeunesse de marcher du même pas.
Comme pour se remémorer qu’à l’époque de la grande désespérance, il y eut aussi des hommes, des artistes qui se sont levés avec pour toute arme, leur courage, leur détermination et leur talent. Et Hector en était.
Christophe Cassiau-Haurie
Spécialiste de la BD en Afrique et directeur de publication chez l'Harmattan BD
(extrait du Livre des 10 ans de la Fondation Zinsou)