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La villa Ajavon, datée de 1922, est l’un des témoignages majeurs de l’élaboration d’un langage architectural original, nourri de syncrétisme : le style afro-brésilien. Elle est également le reflet de la transformation urbaine, économique et sociale d’une ville côtière africaine après l’abolition de l’esclavage.

Les premiers navires européens qui accostèrent dans la cité portuaire de Ouidah, dans le golfe de Guinée, furent les navires portugais au XVIe siècle. Pendant les siècles suivants, la ville fut dédiée au commerce des esclaves : le port de Ouidah a vu partir des centaines de milliers d’esclaves pour les Amériques, notamment le Brésil et les Caraïbes. Après l’abolition de l’esclavage, la ville se consacre au XIXe siècle à l’exportation de l’huile de palme, utilisée en Europe pour la production de savon, de bougie et de lubrifiant pour l’industrie mécanique. En 1894, lors de l’instauration de la colonie du Dahomey, Ouidah est une ville florissante dédiée au commerce, bientôt concurrencée par Cotonou et Porto-Novo.

La population de la ville voit l’émergence au cours du XIXe siècle d’une classe de riches négociants formant une bourgeoisie prospère. Parmi eux figurent à la fois des descendants de marchands d’esclaves et d’anciens esclaves qui, devenus libres, ont quitté le Brésil dès la première moitié du XIXe siècle pour retrouver leur terre d’origine, en Afrique. Ces anciens esclaves affranchis sont employés comme interprètes, travaillent dans l’administration ou se tournent vers le négoce. Ils constituent une communauté afro-brésilienne appelée « Aguda », Gravissant les échelons de l’échelle sociale, elle contribue à la naissance d’une culture singulière, nourrie de métissages.

 

L’épanouissement économique de Ouidah concourt à la métamorphose urbaine de la ville au XIXe siècle. La cité portuaire se dote de nouveaux bâtiments, magasins de vente et résidences particulières. Cette floraison d’ouvrages architecturaux emprunte différentes formes, dont l’une des plus emblématiques est le style afro-brésilien. Puisant dans le vocabulaire de l’architecture brésilienne des accents baroques, les édifices de style afro-brésilien associent apports locaux africains et influences étrangères, échos des demeures de Salvador de Bahia. Au début des années 1920, un riche négociant nommé Ajavon, originaire du Togo voisin, décide d’élever à Ouidah une demeure pour sa famille. Ce représentant d’une compagnie commerciale allemande était établi depuis peu dans la ville et y avait trouvé un commerce florissant.

 

A une époque d’essor de la construction, Ajavon acquiert une concession de vaste superficie, située à proximité de la première cathédrale élevée dans la colonie du Dahomey. L’édifice dont il établit les plans présente plusieurs influences de l’architecture afro-brésilienne, mêlées à celles de l’architecture coloniale et à des traditions endogènes.

 

La villa Ajavon, édifice de plain-pied élevé en bordure de rue, est séparée de la voie publique par un discret portail. Il ne masque en rien l’éclat de la façade principale. Une clôture délimite la propriété : elle est composée de piliers surmontés de pinacles1, d’une balustrade2 en pierre et de barreaux en métal. Derrière s’étend un espace qui abritait autrefois un petit jardin précédant la demeure.

 

L’éloquence de la façade principale frappe au premier abord. L’édifice à un seul niveau arbore une façade imposante, organisée de manière symétrique. Elle possède des volumes anguleux et se distingue avant tout par le grand nombre de ses ouvertures. A l’étage, les ouvertures possèdent un garde-corps3 avec une balustrade. Le corps principal du bâtiment est couronné par un fronton polylobé4 portant l’inscription « VILLA AJAVON 1922 ». Le tympan5 est orné d’une figure ailée encadrée par un motif de palmettes. Les murs en terre cuite de la demeure étaient autrefois recouverts d’un crépi de couleur beige.

Le corps principal est entouré de deux avant-corps6 surmontés d’une frise. Le bâtiment principal est doté d’une toiture à deux pans. Les avant-corps, eux, se distinguent par un élégant jeu de toitures à pans coupés multiples. Une corniche7 ornée de moulures8 sépare le rez-de-chaussée et le premier étage. Elle souligne les lignes horizontales de l’édifice. De discrets et élégants ornements contribuent à animer la façade. Les pilastres9, accentuant les lignes verticales, sont notamment dotés d’un motif circulaire terminé par trois flèches descendantes. Ce motif se répète à plusieurs reprises sur d’autres supports, offrant à l’édifice un caractère inédit. La façade principale possède une dimension très théâtrale propre à l’architecture afro-brésilienne. Cette façade endosse un rôle de représentation. Elle traduit l’importance sociale de son propriétaire. Ce n’est cependant pas une façade écran. Un espace de sociabilité est ménagé pour ses occupants, espace courant dans l’architecture coloniale : la véranda. Elle forme au rez-de-chaussée un espace couvert mais largement ouvert par deux grandes baies et deux baies plus étirées au centre. Ombragée et aérée, elle permet aux hôtes de scruter les allées et venues de la rue.

 

La villa Ajavon, située à l’angle de deux voies, possède une façade latérale plus sobre. Le bâtiment situé à l’angle abritait le magasin de vente. La façade arrière de la villa est dotée d’une véranda, moins ostentatoire que celle de la façade principale et offrant une plus grande intimité à la famille. Elle donne sur un jardin avec des dépendances.

 

Les nombreuses ouvertures animant les façades traduisent l’influence du climat tropical sur la conception de l’édifice. La ventilation naturelle des pièces est rendue possible par ces ouvertures abondantes et par la distribution intérieure. Celle-ci se caractérise par la présence de galeries sur trois côtés à l’étage, ainsi que par des pièces de superficie réduite, s’ouvrant les unes sur les autres. Afin de filtrer la lumière du soleil mais laisser passer l’air, les fenêtres sont dotées de persiennes10. Ces différents éléments figurent au registre de l’architecture afro-brésilienne, tout comme le travail du bois employé pour les menuiseries et les huisseries11. A l’intérieur de la demeure, les encadrements de portes ont été l’objet d’une attention particulière, richement ornés. Le raffinement est poussé à son extrême sur certaines portes en bois. En partie inférieure, elles arborent deux lettres imbriquées, V et A, correspondant aux initiales de la villa Ajavon. En outre, un important mobilier en bois devait agrémenter les différentes pièces de la villa.

 

La villa Ajavon apparaît à plus d’un titre comme un jalon essentiel dans l’épanouissement d’un style architectural aux influences multiples. Sa rénovation fait revivre l’éclat d’un patrimoine aujourd’hui menacé. Il en va de la sauvegarde de tels monuments, face à la désaffection de certains propriétaires, le manque de moyens ou la concurrence de l’architecture contemporaine. Ce patrimoine participe pourtant pleinement de la richesse culturelle de Ouidah. Il constitue la mémoire vivante de la ville.

Sarah Ligner, mars 2013.

Dessin de la façade de la Villa Ajavon par Sarah Ligner
  1. Un pinacle est un élément généralement pointu placé comme couronnement au sommet d’un support vertical.

  2. La balustrade désigne un type de barrière composée de colonnettes à renflement central appelées balustres.

  3. Barrière de sécurité et de protection placée devant un vide. Elle marque la limite d’une terrasse, d’un balcon…

  4. Pourtour découpé en plusieurs lobes prenant la forme de demi-cercles.

  5. Le tympan désigne une partie du fronton. Il s’agit d’une surface verticale située au sommet d’une fenêtre, d’une porte ou d’un édifice. Le tympan reçoit souvent un décor en bas-relief.

  6. L’avant-corps est un volume du bâtiment en avant par rapport aux autres corps du bâtiment.

  7. Bordure saillante au sommet d’un mur.

  8. Elément décoratif en creux ou en relief sur les murs.

  9. Pilier encastré dans un mur, formant une légère saillie.

  10. Système de fermeture des ouvertures composé de lamelles horizontales les unes au-dessus des autres, pouvant être inclinées afin de filtrer les rayons du soleil tout en permettant la circulation de l’air.

  11. Encadrement de porte ou de fenêtre.

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